Rencontre exclusive avec Jacques Villeneuve

Jacques Villeneuve, commençons par votre nouveau métier. Cette année vous êtes consultant sur Canal+. Après 8 Grands Prix comment est-ce que vous jugez l'expérience ?

Plutôt bien. C'est compliqué, c'est beaucoup de travail. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre, si ça allait me plaire, si après deux ou trois Grands Prix ça allait commencer à m'énerver un petit peu. Mais ça se passe bien, c'est intéressant, il y a toujours quelque chose à dire donc très, très satisfait.

Canal + a un contrat de trois sans, ça veut dire que vous êtes prêt a commenter aux côtés de Julien Fébreau pour les saisons à venir ?

Là c'était un essai pour voir ce que ça allait donner mais si ça continue comme ça, oui. Sur Canal+ il y a une liberté d'expression qu'on ne trouve pas partout et c'est aussi ça qui permet d'être à l'aise.

Quelle est votre opinion sur ce début de saison ?

On a un bon championnat mais pas souvent de bonnes courses. On a souvent des courses surprenantes mais avec trop de problèmes de pneus et aussi trop d'artifices ;avec le DRS et ainsi de suite. Beaucoup de dépassements mais peu de beaux dépassements donc il faut faire un peu la part des choses mais on a un très beau championnat avec beaucoup de prétendants à la victoire.

Quel est le pilote qui vous impressionne le plus actuellement ?

Alonso a toujours été spécial. Vettel a quand même bien mûri cette année. Il y a un gros changement chez Vettel cette saison. L'autre qui a fait beaucoup de progrès cette année, c'est Rosberg. L'an dernier il s'était un peu endormi mais là il commence à devancer Lewis Hamilton ce qui n'est pas une chose facile donc je pense que ceux qui peuvent venir jouer les trouble-fêtes [dans la lutte pour le titre] ce sont les deux pilotes Mercedes. Depuis le début de la saison, Ferrari et Red Bull se concentrent les uns sur les autres mais ils n'ont pas forcément vu Mercedes venir.

Pirelli a apporté des nouveaux pneus arrière pour ce Grand Prix, après les problèmes rencontrés à Silverstone. D'autres changements sont prévus pour Budapest. Est-ce que vous pensez que ça va avoir un impact sur la hiérarchie et favoriser certaines écuries ou est-ce que ce sera toujours les mêmes devant ?

Les mêmes équipes vont être compétitives, après ça va un petit peu aider les équipes qui surchauffaient leurs pneus parce que ce sont des ceintures en kevlar qui permettent de mieux contrôler la température du pneu par contre ça ne change pas l'usure des pneus.

Autre grosse annonce de ces derniers jours, l'annonce du départ de Mark Webber qui ira rejoindre le projet Porsche en Endurance. Qu'est-ce que vous pensez de cette décision ? C'est le bon moment pour passer à autre chose ?

Il sentait que de toute façon on n'allait pas lui refaire un contrat donc il a pris la décision avant qu'on la lui annonce donc ça c'est une bonne chose. Il faut toujours prendre les devants.

Qui est-ce que vous voyez comme favoris pour le remplacer ? Si vous deviez choisir entre les différents candidats ?

Kimi Räikkönen parce qu'il a l'image un peu festive. Parce qu'aujourd'hui Red Bull a quand même remporté trois championnats mais il n'y a pas trop d'image qui vient avec. Là ils auraient un pilote pour continuer de gagner qui serait Vettel et Kimi qui serait là un peu pour faire la fête et avoir la vraie image Red Bull. C'est ce qui conviendrait le mieux, j'imagine, à l'écurie.

Sinon entre Vergne et Ricciardo, ça dépend des courses. A Silverstone, Ricciardo a bien bossé et Vergne moins bien. Par contre sur les deux Grands Prix précédents, à Monaco et au Canada, c'est Vergne qui était largement devant donc je pense que ça dépendra de l'aspect social et de la façon dont les deux pilotes s'entendent avec les dirigeants de l'écurie.

On vient d'évoquer Jean-Eric Vergne. Qu'est-ce que vous pensez des performances des quatre pilotes français ?

Pour l'instant, Grosjean malgré le fait qu'il soit très rapide - il l'a démontré - il n'a pas les résultats qu'il devrait avoir avec une Lotus donc il a encore beaucoup de travail à faire de ce côté là.

Jean-Eric Vergne est très rapide, surtout dans les conditions difficiles, humides, mouillées, mais pour l'instant, n'est pas constant. Souvent quand il a de la pression ça ne fonctionne pas donc il y a trop de hauts et de bas.

Bianchi et Pic sont dans des équipes qui font qu'on ne peut pas vraiment juger.

On a le plateau le plus jeune de l'histoire de la Formule 1. Qu'est-ce que vous pensez des jeunes pilotes ?

On a un gros manque d'expérience en Formule 1 tout simplement mais aussi de personnalité.

Pour vous il faudrait revoir la formation, la filière pour arriver en Formule 1 ?

Il faut un mélange d'expérience et de jeunes parce que pour qu'un jeune soit bon il faut qu'il batte des pilotes d'expérience c'est la seule façon d'apprendre. S'il n'y a que des pilotes sans expérience, la barre est placée trop bas.

Dans le même ordre d'idée, est-ce que vous pensez que l'arrivée possible d'un Räikkönen chez Red Bull en 2014 pourrait permettre à Sebastian Vettel de prendre une autre dimension s'il venait à le battre, malgré qu'il ait déjà trois titres mondiaux ?

Oui totalement. Ça serait mieux pour Vettel de battre un champion du monde qui a l'image d'être un pilote très véloce comme Kimi Räikkönen qu'un Webber qui a l'image d'être un pilote véloce mais qui ne l'a jamais prouvé.

Beaucoup d'écuries ont des problèmes financier, dont Williams dont vous êtes le dernier champion du monde, c'est quelque chose qui vous touche particulièrement ?

C'est un peu l'évolution de la Formule 1 qui est devenue de moins en moins un milieu de sport et de plus en plus un milieu de business et de politique. On a l'impression que les équipes et le milieu de la Formule 1 ne se rend pas compte à quel point ils sont en danger en ce moment parce que la quantité d'équipes qui ont des problèmes en ce moment est quand même énorme et ce n'est pas soutenable à ce niveau là. Ce n'est pas à la réglementation de changer mais aux équipes de s'adapter.

Il y a quand même certaines mesures qui ont été prises pour réduire les coûts, vous pensez qu'il faut aller encore plus loin ?

Les mesures ne servent à rien. Les équipes dépensent la quantité d'argent qu'elles ont. Elles avaient déjà des centaines d'employés, elles ne peuvent pas les réduire du jour au lendemain. La grosse partie du problème vient de l'arrivée des constructeurs durant les dix dernières années. Des constructeurs qui après sont partis en laissant un grand vide derrière eux. C'est ça le danger. C'est de faire venir les constructeurs parce que ce n'est plus soutenable le jour où ils partent. Pour pallier à ce problème, les équipes ont commencé à faire venir des pilotes payants qui n'ont pas le talent nécessaire mais qui ramènent de l'argent et qui ne vont pas développer les voitures. Et les équipes qui engagent des pilotes payants ne peuvent pas trouver de sponsors puisqu'il n'y a pas d'image de toute façon. C'est un cercle vicieux duquel, par exemple Williams va avoir beaucoup de problèmes pour s'en sortir.

Par contre, la réglementation de ne plus faire d'essais, oui ça coûte moins cher. Maintenant qu'est-ce que les équipes ont fait à la place, elles ont construit d'énormes simulateurs qui coûtent aussi cher que ce que ça coûterait de faire des essais donc il n'y a aucune économie de faite. Plus d'argent est mis dans les motorhomes à la place. L'argent que les équipes gagnent, elles le dépensent de toute façon.

Là, le moteur de l'an prochain va coûter deux à trois fois le prix de celui de cette année donc il n'y a pas d'économies. Il y a une poussée en F1 pour aller vers de l'Endurance, pour qu'il n'y ait que cinq moteurs par saison. Ça veut dire qu'il n'y a plus de développement. La F1, pour être excitante, doit être la démesure, ce qu'elle a toujours été. C'est ça qui excite les commanditaires, les fans, tout le monde. Mais elle se banalise tranquillement, malheureusement.

Donc vous ne seriez pas en faveur d'un budget plafond ou de la possibilité pour certaines écuries, Red Bull, Ferrari et autres, de fournir des châssis à des écuries plus modestes ?

Ça, ça serait une bonne chose que les écuries puissent revendre leur châssis et pourquoi pas avoir trois voitures, trois Ferrari, trois McLaren au lieu de se limiter à deux. Ça, ça serait intéressant. Ce qui faciliterait l'apport de fonds ça serait que les deux voitures ne soient pas de la même couleur, qu'elles puissent avoir des sponsors différents. Il faut penser à tout ça.

Limiter les budgets, non. Si les meilleurs sont capables d'avoir plus de budget, tant mieux pour eux. Il faut arrêter de limiter vers le bas. Il faut aussi que les meilleurs puissent démontrer qu'ils sont les meilleurs.

Autres acteurs en difficulté financièrement, les circuits, notamment le Nürburgring dont on n'est pas sûr qu'il sera au calendrier dans deux ans. Vous regrettez la disparition des anciens circuits ?

Ça dépend. La plupart des anciens circuits ne sont plus adaptés à la Formule 1 moderne. Ils ne sont pas adaptés pour les fans, ils sont situés loin des grandes villes. Le monde moderne est habitué à être assis devant son ordinateur et à avoir de l'info en continu toutes les cinq minutes et n'a plus envie de se déplacer, faire deux heures de route pour aller voir en live un vrai show. Ça ne fait presque plus partie des habitudes de la génération moderne. Il faut aussi s'adapter un petit peu au public.

De notre envoyé spécial au Nürburgring