Virage de Tamburello : "Ce satané mur... un jour quelqu'un va mourir"
Les évènements tragiques de ce Grand Prix de F1 de Saint-Marin 1994 ne surprennent malheureusement pas tout le monde. Les pilotes savent depuis plusieurs années que ce circuit est dangereux. Certains y ont fait d’amères expériences avant les tragédies de Ratzenberger et de Senna...


Nous sommes en 1994. L’Autodromo Enzo e Dino Ferrari est un circuit construit au début des années 50. Il est un des rares à tourner dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Avant même sa construction, Enzo Ferrari le surnommait le petit Nürburgring. Au fil du temps, l’ajout de chicanes n’a pas retiré l’essence même de ce circuit : la vitesse, la sollicitation de la mécanique et du pilote.
Ce tracé vallonné met rapidement dans l’ambiance : le premier virage est une grande courbe à gauche, bosselée, qui se passe pied au plancher à près de 300 km/h : le redouté Tamburello. Elle est suivie par une courbe à droite, non moins rapide et non moins dangereuse : la courbe Gilles Villeneuve. Elle doit son nom à la violente sortie de piste du Canadien lors du Grand Prix en 1980. Cette saison-là, encore, lors des essais, c'est la Ferrari du Champion en titre, Jody Scheckter, qui avait été droit dans le muret. C’est au même endroit que Roland Ratzenberger trouve la mort.
Imola accueille deux courses de Formule 1 hors championnat en 1963 et 1979 avant d’être le Grand Prix d’Italie en 1980, pendant les travaux de Monza. Son succès va conduire à y organiser à partir de l’année suivante le Grand Prix de Saint-Marin, la troisième plus petite république d'Europe, pourtant à une heure de route.
La technologie plus rapide que les infrastructures
Année après année les Formule 1 vont de plus en plus vite ;plus d'aérodynamique, plus de puissance et de meilleures suspensions. En 15 ans les voitures gagnent plusieurs dizaines de kilomètre par heure en vitesse en pointe, et beaucoup plus en passage en courbe.
Nombreux sont les circuits qui ne satisfont plus aux exigences des monoplaces modernes. Mais la F1 est devenue plus sûre… ou peut être est-ce simplement la chance qui nous a épargné des destins tragiques.
Jusqu’en 1982 et la disparition de Gilles Villeneuve et Riccardo Paletti, le grand cirque pleurait en moyenne la perte d'un à deux pilotes par an. Le décès en 1986 de Elio de Angelis, en essais privés, est presque passé inaperçu. Cela n’avait pas la répercussion d’un évènement couvert par les télévisions.
Ainsi, en 1987 l’impressionnant accident de Nelson Piquet, dans Tamburello, n’aboutit sur aucune remise en question de la sécurité de la piste. Pourtant la Williams du Brésilien heurte violemment le mur en qualification, après une perte de contrôle. Il sort de l'hôpital avec des blessures minimes au vue du choc, mais suffisamment sérieuses pour que les médecins, Sid Watkins en tête, l’empêchent de courir le Grand Prix. Même si le pilote affiche un sourire en interview il avouera avoir fermé les yeux pendant qu’il était en perdition.
« j’ai senti mon corps entier brûler »
En 1989 survient l’accident qui va enfin soulever des interrogations, dont celle d’Ayrton Senna. En tout début de course, dans cette fameuse courbe, la Ferrari de Gerhard Berger file tout droit dans le mur. « J’ai tourné à Tamburello, j’ai de suite compris que quelque chose n’allait pas. » L’Autrichien vient de perdre son aileron avant. « Là j’ai vu que la voiture ne tournait pas et allait tout droit, ensuite j’ai vu le mur se rapprocher, et je me suis rappelé que mon réservoir d’essence était plein ». « [J’ai] pensé que j’allais mourir ».
Malgré le réflexe de freinage du pilote, la Ferrari heurte le mur à près de 300 km/h, se disloque, tourne sur elle-même sous la violence de l’impact, puis s’embrase. « J’ai eu très, très mal, j’ai senti mon corps entier brûler. J’étais couvert d’essence, à cette époque l’essence était très corrosive. » Berger attendra 16 interminables secondes avant d’être secouru et de “subir” les premiers soins : « [le] tube dans la gorge et [...] l’assistance respiratoire furent encore plus douloureux que l’accident lui-même ». « Beaucoup de gens m’ont appelé. J’ai eu Ayrton. Je lui ai dit que ça allait, je ne savais pas vraiment ce qui c’était passé. Mais je lui ai dit : “Ce satané mur… un jour quelqu’un va mourir parce qu’il est bien trop proche de la piste”. C’est un virage tellement rapide, si vous avez une casse mécanique, vous êtes mort. »
Quelques semaines après les deux hommes reviennent sur les lieux. Ils constatent tous les deux la présence de la rivière Santerno qui empêche un recul du mur. « On s’est dit qu’on ne pouvait rien faire. Il est mort exactement à l’endroit où on discutait »
Un circuit briseur de carrière
Cet accident a provoqué une prise de conscience du pilote autrichien : « J’ai expérimenté par le passé le fait de mettre deux roues dans l’herbe pour doubler deux voitures en ligne droite sur le vieux Hockeneim. Je me suis dit “ho ça passe”. Plus tard, j’ai essayé avec quatre roues dans l’herbe, et évidemment ça ne passait pas. J’ai toujours été engagé à prendre des risques. A partir de ce moment (l’accident) je me suis dit : ça peut faire très mal. Pour être honnête, après ça je n’ai jamais atteint le niveau de performance que j’avais avant. »Gerhard Berger était l’ami d’Ayrton Senna. Lorsque le Grand Prix d’Imola redémarra après le tragique accident, le pilote autrichien ne pu poursuivre sa course et dû s’arrêter à cause de l’émotion. Un autre homme n’a pas repris le volant après l'interruption du GP. Il s’agit d’Erik Comas. 2 ans plus tôt, en Belgique, Ayrton Senna lui sauve la vie en lui portant secours après une violente sortie de piste.
En ce 1er mai 1994 une erreur des commissaires de piste amène le français à se retrouver juste derrière l’épave de la Williams de Senna et de l'hélicoptère des médecins : « C’était comme si une bombe atomique venait d’exploser à Tamburello. Il y avait une atmosphère très pesante qui s'abattait sur les lieux et sans connaître les détails, je savais que c’était très mauvais. Je me suis retrouvé paralysé parce que je me retrouvais à coté d’un homme qui m’avait sauvé la vie deux ans plus tôt et je ne pouvais rien faire pour l’aider. C’est un sentiment terrible. » Il abandonnera la Formule 1 à la fin de la saison 1994. Son rêve de piloter en catégorie reine est mort en même temps que l’homme qu’il admirait.
Le circuit d’Imola a été remanié à la suite de ce week-end noir. Les 3 virages des 3 accidents de Barrichello, Ratzenberger et Senna ont été ralentis par des chicanes. En 2006 les infrastructures ne répondaient plus aux exigences de sécurité de la FIA. L’Autodromo Enzo e Dino Ferrari, marqué à jamais par la tragédie, n’accueillera plus de Grand Prix de Formule 1.