F1

Argent, visibilité, sportwashing : Quand la Formule 1 devient géopolitique

Quatre Grand Prix au Moyen-Orient, prolongation de l'Azerbaïdjan jusqu'en 2026 ou encore retour de la Chine au calendrier en 2024, la Formule 1 n'a jamais été autant un outil géopolitique que ces dernières années. Au sein d'un monde où le sport devient un enjeu de soft power, la Formule 1 devient l'objet de convoitises de la part d'États en quête de visibilité et de puissance, dissimulant par la même occasion des facettes parfois bien sombres.

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Max Verstappen sacré champion du monde au Qatar en 2023, une aubaine pour cet État en recherche de visibilité
© Red Bull / Max Verstappen sacré champion du monde au Qatar en 2023, une aubaine pour cet État en recherche de visibilité

Si depuis plusieurs années, autant de nouveaux pays affluent au calendrier de Formule 1, ce n'est pas une coïncidence. En effet, le rachat de la Formule 1 en janvier 2017 par les Américains de Liberty Media, pour 8 milliards de dollars, a permis de faire entrer la catégorie reine du sport automobile dans une autre dimension. Face à un cruel manque de visibilité et par conséquent, une faible attractivité, ce rachat avait un objectif clair : repositionner la Formule 1 « en tant que marque de média et de divertissement », ce que déclarait Sean Bratches, ancien directeur commercial de la Formule 1 en 2017.

Et si ce pari était ambitieux, la réussite est gigantesque. Au cœur de cette nouvelle stratégie, le partenariat avec Netflix et la série Drive to Survive, dont la première saison a été diffusée en mars 2019. Grâce à son storytelling et sa vision des coulisses de la Formule 1, la série est un vrai carton et continue d'attirer des plus jeunes fans. Cet engouement nouveau pour la Formule 1 s'est aussi traduit par l'augmentation des audiences pour les diffuseurs : en 2021, c'est +48% d'audience en France et +58% aux États-Unis.

Ce développement stratégique s'est aussi accompagné d'une émergence de certains continents, alors peu exploités jusqu'ici. Si c'est le cas pour les États-Unis avec pas moins de trois Grand Prix, le Moyen-Orient est bien l'exemple le plus flagrant de ce nouveau virage pris par la Formule 1.

La Formule 1, au cœur d'une stratégie de diversification économique pour les pays du Golfe

Le Moyen-Orient est à la croisée des chemins : les États du Golfe représentent près de 50% des exportations pétrolières du globe, diversifier leurs économies est nécessaire. La Formule 1 est alors devenue un vecteur du développement et de la diversification économique de ces pays.

Ainsi, les projets Vision 2030 de l'Arabie saoudite et Qatar National Vision 2030 témoignent de cette volonté de changer d'horizon, avec le sport au centre de ces nouvelles stratégies. Et si le football occupe une place importante pour les pays du Golfe, la Formule 1 est-elle aussi en train de changer de dimension, comme en témoigne le montant estimé de l'investissement de l'Arabie saoudite entre 2020 et 2030 dans la discipline : 1,4 milliards de dollars. Le royaume Wahhabite affirme son ambition à court et moyen terme. Des ambitions qui se confirment pour les États du Golfe avec des contrats de longues durées pour leurs Grand Prix : jusqu'en 2036 pour Bahreïn, 2032 pour le Qatar et 2030 pour Abu Dhabi et l'Arabie saoudite.

Les investissements des États du Golfe permettent à la Formule 1 de générer des revenus gigantesques, à tel point que la catégorie reine des sports automobile ne peut désormais plus se passer du Moyen-Orient, qui participe au financement d'une partie du reste de la saison. L'ancrage de ces pays est total.

Un enjeu de visibilité, de marketing et de sponsoring

Véritable moyen de diversifier une économie trop dépendante du pétrole, la Formule 1 permet aussi de faire gagner en visibilité les pays du Moyen-Orient. « Putting on the map » étaient les mots du Cheikh Hamad al Thani, père de l'actuel émir du Qatar, en 2004. Une phrase qui renvoie à la volonté de ces États de s'intégrer au monde et de faire de leur région un espace compétitif. À l'heure où la Formule 1 atteint des chiffres record, ce positionnement des États du Golfe n'est en rien étonnant, c'est une opportunité à ne pas laisser passer.

Cependant, l'acquisition de cette visibilité doit s'entretenir, il ne suffit pas d'avoir un Grand Prix de Formule 1, il faut l'utiliser. C'est là qu'entre en jeu le marketing et le sponsoring. En 2021, une société de holding (Saudi Sports Company) a été créée par l'Arabie saoudite et son ministère des Sports, dans le but d'acquérir des droits télévisuels mondiaux. On parle également de stratégie de marketing de positionnement, la capacité d'exister par le sport, en accueillant de grandes compétitions récurrentes. Le Qatar s'inscrit dans cette dynamique, avec le circuit de Losail, qui héberge aussi bien le Moto GP que la Formule 1. Mais en accueillant de grandes compétitions et particulièrement un Grand Prix, quoi de mieux que d'avoir un porte-parole. En ayant vu Guanyu Zhou arriver en Formule 1 en 2022, la Chine a trouvé son atout pour rayonner. S'il n'a toujours pas pu courir lors de son Grand Prix national, cela devrait être chose faite en 2024. Pour autant, cela n'empêche pas la Chine de profiter d'avantages commerciaux et de développer l'image de la Formule 1 dans son pays grâce à son pilote. Une stratégie plus que gagnante qui profite aussi au développement de la Formule 1, et garante d'une visibilité qui permet à la Chine de s'ancrer durablement dans la catégorie reine des sports automobiles.

Le sponsoring est aussi un élément essentiel de l'acquisition de visibilité. Aujourd'hui, la Formule 1 est accompagnée par de grands sponsors, que le monde entier à l'occasion d'apercevoir en course. Si Rolex est un sponsor essentiel, ce sont bien des sponsors du Moyen-Orient qui se sont installés ces dernières années, à l'image de Qatar Airways et Aramco, société pétrolière saoudienne. Les États du Golfe continuent leur chemin et continuent de s'imposer comme le nouvel eldorado de la Formule 1.

Une compétition intra-régionale

Face à des tensions qui gravitent dans la région, la concurrence se fait aussi à travers le sport. En effet, la Formule 1 est aussi un moyen pour ces États de s'affirmer sur la scène régionale et internationale. Ainsi, l'organisation d'un Grand Prix de Formule 1 permet à chacun de montrer l'étendue de son influence et de sa domination.

Ces États souhaitent tous développer leur image internationale en passant par le sport. Un problème que ne manque pas de souligner Simon Chadwick, spécialiste des relations entre sport, géopolitique et économique : « Ces pays sont en compétition les uns avec les autres, sur tous les points. Si l'un d'entre eux ouvre un musée d'art, l'autre va vouloir faire de même. S'il investit dans une équipe de football, l'autre le fera aussi. C'est pareil pour les événements sportifs. Ils se copient car l'image qu'ils véhiculent est très importante pour eux. »

Le sport et la Formule 1 restent néanmoins un moyen de compétition indirecte pour ces pays du Moyen-Orient, tant l'influence et la visibilité sur la scène internationale leur sont essentielles pour devenir de vraies puissances.

Sportwashing : des États qui cherchent à redorer leur image

Cependant, tout n'est pas propre sur le CV de ces États et cette stratégie dans sa globalité, n'a rien d'anodine. Au contraire, ils sont même accusés de sportwashing : le fait de redorer leur image avec l'utilisation du sport.

Le non-respect des droits de l'Homme est notamment au centre de ces critiques. Hashem Hashem, militant d'Amnesty International, déclarait ceci en 2021 : « Ces événements sportifs servent à donner une image admirable après des années de violations scandaleuses des droits de l'homme, comme la censure, les interdictions de libre circulation pour les femmes et les activistes, et la torture exercée sans procès sur des opposants. »

Si la Formule 1 souhaite se rendre dans ces pays pour y faire changer les mentalités, comme l'a expliqué son patron, Stefano Domenicali, ce sont pourtant les pilotes qui ont pris position jusqu'ici. Lors du Grand Prix du Qatar en 2021, le septuple champion du monde Lewis Hamilton avait arboré un casque aux couleurs du drapeau LGBT dans la volonté d'apporter son soutien aux personnes qui subissent ces discriminations.

La situation est la même en Chine, dont le Grand Prix revient au calendrier en 2024. Alors que le pays est en proie à une contestation internationale vis-à-vis de la situation préoccupante des Ouïghours, les instances de la Formule 1 se réjouissent d'un retour de la Chine et de son circuit international de Shanghai. L'Azerbaïdjan est également au centre des discussions : la Formule 1 ne peut pas faire l'impasse sur la situation du pays avec l'Arménie dans la région du Haut-Karabakh. L'organisation d'un Grand Prix de Formule 1 ne doit pas occulter la situation politique d'un pays, et encore moins participer à blanchir quelconque situation douteuse. De ce point de vue, la Formule 1 a encore du travail afin de ne pas servir les intérêts d'État qui se livrent à des dérives.


Indéniablement, la Formule 1 attire. Véritable instrument de puissance, aussi bien économique que stratégique, la catégorie reine du sport automobile permet aux États qui en ont l'ambition, de s'imposer et de se construire une image sur la scène internationale. Le sport de manière générale s'impose en fer de lance des stratégies de développement des États et comme le rappelle le géopolitologue Français Pascal Boniface, « plus personne ne peut nier que le sport est un enjeu géopolitique. »

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