Entretien avec Laurent Dupin, rédacteur en chef de la F1 sur Canal Plus
A l'occasion de la présentation du dispositif de Canal Plus pour la saison 2024 de F1, Motors Inside a pu s'entretenir avec Laurent Dupin, rédacteur en chef de la F1 pour le diffuseur officiel du championnat en France. Il nous livre quelques anecdotes d'interviews et son regard sur l'évolution de la F1 ces dernières années.


Bonjour Laurent. Prévoyez-vous d'ajouter des nouveautés dans votre manière d'aborder les pilotes et de les interviewer ?
Je n'y ai pas vraiment réfléchi. Avec les années, ce qui est facile pour toute l'équipe Canal, c'est que, à part Hamilton et Alonso, nous les avons tous vu débuter. Donc pour eux, Canal est devenu hyper important. On essaie d'avoir une proximité mais sans avoir une connivence. C'est-à-dire que s'ils ont fait une erreur ou s'il y a une thématique un peu particulière ou dérangeante pour eux, on ne s'interdit pas de l'évoquer.
J'aime bien aussi avoir une petite touche d'humour à la limite de la vanne comme féliciter un pilote qui aurait fait un tête-à-queue. Il faut juste trouver le bon équilibre pour ne pas les vexer ni que ça se retourne contre nous. Il faut parfois le sentir, ce qui est plus facile à faire avec les Français et Leclerc qu'avec Alonso par exemple qui peut être très susceptible. Lorsqu'il était Alpine, il se plaignait de la fiabilité. Je lui ai dit que ça faisait pourtant dix courses qu'il terminait dans les points. Mais à son abandon suivant, il me l'a rappelé en disant « Alors, je n'ai pas de problème de fiabilité ? ». Je me suis dit « Waouh, il se rappelle que trois semaines avant, je lui avais dit ça ! ». Il faut donc savoir s'adapter en fonction de chaque caractère.
Pour 2024, avez-vous donné des objectifs précis comme un nombre d'interviews par Grand Prix ou avoir un pilote Ferrari à Monza ou Alonso en Espagne ?
Nous avons tous les pilotes en interview après les qualifs et après la course. Ensuite, nous essayons de caler les « one-to-one ». Pour Alonso à Barcelone, il est tellement sollicité sur son Grand Prix national que ce n'est pas là qu'il a le plus envie de se confier, entre ses nombreuses interviews et ses apparitions pour des sponsors. Si on l'a en fin de journée et que ça fait huit heures qu'il répond à des questions, c'est moins bon. Il vaut mieux l'avoir à Bakou où il a beaucoup moins de sollicitations pour avoir plus de temps avec lui et plus de sincérité. Sur certains Grand Prix, les pilotes enchaînent les interviews. On essaie de les avoir lorsqu'ils sont le plus frais mentalement.
Pour Ferrari, nous avons déjà plusieurs projets de documentaires avec eux, donc on essaie de mettre en place des choses. En termes de reportages, nous sommes pour l'instant allés jusqu'au quatrième Grand Prix car nous voulons d'abord voir comment ça évolue. Nous savons déjà que nous aurons au moins une fois chaque pilote des six meilleures équipes. Ce qui fait 12 pilotes sur 24 dates donc il faudra être habile car des pilotes comme Verstappen, Hamilton ou Alonso, nous les avons qu'une fois pendant un quart d'heure. Donc il faut essayer de viser juste.
Connaissez-vous déjà votre calendrier pour cette année ? Sur quels évènements allez-vous déplacer et comment choisissez-vous qui va où ?
Nous connaissons le calendrier. Personnellement, je les fais presque tous, 19 sur 24 Grand Prix. Lorsque je ne suis pas sur place, je suis rédacteur à Paris. Nous faisons notre planning avec Margot Laffite car il faut toujours que l'un de nous deux soit sur place. Nous sommes souvent ensemble. Dans ces cas-là, elle est présentatrice principale et je suis intervieweur. Et lorsqu'elle n'est pas là, je passe présentateur de « La Grille » et j'ai avec moi soit Pauline Sanzey, soit Charlotte Gabas, soit Manon David.
Il y a des Grand Prix immanquables comme le premier, le dernier et Monaco où il faut que Margot et moi nous y soyons. Ensuite, nous ne voulons plus faire deux week-ends de course consécutifs hors Europe. Par exemple, je n'irai pas au Brésil et elle n'ira pas au Mexique. Pour l'enchaînement Bakou-Singapour, je fais Bakou, elle fera Singapour. Pour le triplet de courses de fin d'année, je ferai Las Vegas et pas le Qatar, et ce sera l'inverse pour elle.
Vous êtes à la présentation de la F1 sur Canal depuis le début en 2013. Avec l'engouement qu'il y a autour de la F1, notamment lié à l'effet Netflix, sentez-vous que l'ambiance a changé sur les Grand Prix ?
Complétement. Déjà, il y a plus de monde car il y a des embouteillages tous les jours pour arriver aux circuits. Même pour les vendredis d'essais libres, les tribunes sont pleines sur la plupart des Grand Prix. Il faut s'en réjouir et mettre le réveil un peu plus tôt.
Par contraste, nous avons fait tous les Grand Prix en 2020 et 2021 quasiment à huis clos, où nous pouvions partir au dernier moment. Et depuis 2022, lorsqu'on se retrouve avec cent mille personnes par jour, il a fallu qu'on s'habitue. On a aussi remarqué le rajeunissement et la féminisation du public. Le public est plus bruyant avec des « Charles ! Charles ! Lewis ! Lewis ! » alors qu'avant, c'était plus un public de connaisseurs, un peu plus quinqua qui était content de voir les pilotes mais sans crier. Aujourd'hui, les tribunes hurlent lors de la parade des pilotes ou lorsqu'ils arrivent sur la grille. Ça devient vraiment une fête sur trois jours.
Quel est votre regard sur le Grand Prix de Las Vegas qui a fait son apparition au calendrier en 2023 ?
Quand on imagine Las Vegas, on pense à des gens en maillot de bain sur des rooftops lors de soirées mousse. Hors, au mois de novembre la nuit, il faisait cinq degrés. Donc ça a saisi un peu tout le monde d'avoir froid. Et puis la première séance d'essais qui tourne le mal, les différents reports, les critiques de Verstappen, … Finalement, la course a été super, et même les pilotes les plus sceptiques ont fini par dire que le tracé était assez sympa, donc tout a bien tourné.
Après, les tribunes n'ont pas fait le plein donc je pense qu'il y a moyen de faire mieux pour le public en convertissant les habitants de Las Vegas qui ont beaucoup vu le Grand Prix comme une contrainte. Un peu comme les Monégasques qui quittent Monaco la semaine du Grand Prix, avec les rails partout et les routes fermées. Il y a peut-être un travail à faire auprès des locaux. C'était quand même un évènement assez incroyable d'un point de vue visuel notamment.
Après dix ans de F1, avez-vous des anecdotes à nous raconter concernant un pilote ? Ou des propos que vous n'avez pas diffusé car trop limite comme la critique d'un patron ?
Des pilotes qui sont sincères, on en recherche ! A l'époque où Pierre Gasly était en GP2, à Budapest, nous arrivons à l'inviter à une soirée, alors qu'aujourd'hui ce serait complètement l'inverse. Il avait que des t-shirts Red Bull et nous lui avons prêté une chemise pour y aller. C'est amusant d'y penser avec le recul car il était tout jeune alors que maintenant c'est lui la star qui va aux soirées et nous qui n'entrons plus.
J'aime bien aussi la proximité de Charles Leclerc qui est vraiment l'un des plus polis. Il dit bonjour à toute l'équipe technique, il s'arrête pour échanger quelques mots. Je ne sais pas si ça se perçoit à l'antenne mais Leclerc, Gasly, Ocon ont cette reconnaissance car on parlait d'eux quand ils étaient encore très jeunes.
Pour les anecdotes, c'est souvent dans la préparation avant les « one-to-one ». Même avec Hamilton dont le pêché mignon est de voler des bonbons dans le motorhome Mercedes. Ce sont ces petits moments de proximité qu'il n'y a pas tout le temps car les pilotes sont souvent très entourés, d'un attaché de presse, d'un physio, voire du manager. Ce qui n'était pas le cas des générations précédentes quand les pilotes étaient seuls sans un clan autour d'eux.
Avez-vous des interviews déjà calées pour les premiers Grand Prix de la saison ?
Nous aurons probablement Charles Leclerc pour la première course. Mais nous ne prévoyons pas à si long terme car Canal est maintenant bien installé dans le paddock et si on demande un pilote, on sait qu'on l'aura dans les trois Grand Prix à venir. Il y a aussi des habitudes prises par les écuries à savoir que pour le Grand Prix de Monaco, nous sommes la télé nationale donc nous avons une priorité. On peut aussi l'avoir sur des Grand Prix où il y a une télé nationale moins forte, comme c'était le cas au Qatar l'année dernière.
Vous parliez de la politesse et de la gentillesse de Leclerc. Pour vous, est-ce que ça veut dire que ça se passera bien avec Hamilton chez Ferrari en 2025 ?
De ce que j'ai compris, Leclerc est ravi d'avoir Hamilton qui arrive chez Ferrari. J'ai aussi remarqué ces dernières années le changement d'attitude de Hamilton. A un moment, il était assez esseulé dans le paddock ou pendant les parades, et après le Covid, il s'est rapproché notamment des jeunes, sur lesquels il porte un regard bienveillant. Je le trouve beaucoup plus ouvert avec les autres pilotes et moins dans une optique de créer une situation conflictuelle. D'ailleurs avec Russell, un jeune aux dents longues qui est arrivé dans son équipe à lui, il n'y a pas eu de problèmes. Là, il arrive chez Leclerc, donc je pense, jusqu'à ce qu'ils s'accrochent (rires), que ça se passera bien.