Michaël Aumento (Bell) nous explique tous les secrets d'un casque de Formule 1
Michaël Aumento est une des personnes de l'ombre dans le paddock. Pourtant, vous avez forcément vu son travail un jour. Il est l'auteur de ces fameux dessins sur les visières des casques des pilotes. Manager chez Bell, il nous livre tous les secrets des casques de F1.


À partir de quel moment en sports automobiles, doit-on consacrer de l'argent à un casque haut de gamme ?
Michaël Aumento : En karting, les enfants commencent à l'âge de 6 ans. Tu ne peux pas faire de la compétition avant. A ce moment, ça dépend de ton budget. Ca peut aller d'un casque normal à 400 € ou celui en carbone qui fait 1000 €. Dans le karting aujourd'hui, tu as une nouvelle homologation qui s'appelle le KC7. Que ce soit nous, ou nos concurrents, on doit tous respecter la norme CIK, c’est l'obligation qu'on doit avoir pour rouler en karting en championnat. Une fois que tu commences la compétition que ce soit fibre de verre, carbone, kevlar, tu dois avoir la norme CIK sur ton casque mais ça dépend du budget mais c’est clair que quand tu achètes un casque qui vaut 400euro et qu'achète un casque à 1000euro, le casque de 1000euro il est 10 fois plus sécurisant parce qu'il est tout en carbone.
Je regarde les championnats kart sur les réseaux, je suis un peu tout ce qui se passe et franchement quand tu prends un pilote c’est mieux de lui donner véritablement le haut de gamme parce que lui va montrer que Bell a un bon produit et un produit sécurisant donc ça, c’est très important de mettre le haut de gamme à un pilote que tu prends en sponsoring. Par exemple j'ai pris un pilote il a 2 semaines, lui, il va directement rouler avec un casque S7 carbone d'office il va avoir le haut de gamme parce qu’au moins tu as la sécurité en plus mais il voit aussi ce qu'on peut faire de mieux. Car un casque carbone, c’est plus léger qu'un casque fibre ce n’est pas énorme c’est quasiment 80-100g mais sur le cou d'un gamin de 6 ans c'est beaucoup.
Heureusement, tous les casques en compétition sont homologués CIK que ce soit en fibre de verre, carbone, kevlar ils passent tous le test. Mais moi généralement je donne le haut de gamme, même sur un pilote de kart.
En F1, sur les 20 pilotes, 14 sont équipés par Bell. Comment pouvez-vous augmenter votre part de marché dans ce secteur ?
MA : Les pilotes de F1 qu'on a, ils viennent des catégories inférieures que se soit F2, F3, F4. Même du karting à la base. Ils ont commencé en karting soit avec nous ou soit ils se rendent compte que notre produit est mieux qu'un autre produit. Après il y a la notion de service aussi [ndlr : pour se différencier]. La différence avec nos concurrents c’est qu'on a un service et une réactivité assez forte. C’est-à-dire que quand un pilote a besoin d'une modification nous, on n’attend pas 1 mois. En 3 ou 4 jours, on a la possibilité de faire les modifications.
Comment son adaptés les casques aux têtes des pilotes ?
MA : En F2, F3, F4 ce sont des caques standards sauf si quelqu'un à un problème ou si c’est un pilote qui est dans une junior team comme Mercedes, Alpine… Eux, on les chouchoute un peu plus et on leur donne la possibilité de faire un casque sur mesure.
Pour faire un casque sur mesure, on fait un scan en 3D et ça permet d'avoir un casque comme une pantoufle. Tu le mets sur ta tête tu n'as aucun point de pression, il est confort à tous niveaux. Généralement, un pilote adulte, la tête ne change plus a partir de 19 ans sauf si tu prends du poids, ça va changer d'un centimètre ou 2 mais pas plus.
On fait scan en 3D de la tête. Toute la partie liner est faite sur mesure et puis on travaille avec les ingénieurs pour savoir si on met une mousse d'une épaisseur de 3mm, 5mm, 6mm, ou 9mm mais on peut jouer avec tous. C’est vraiment la base qui est travaillée par le pilote mais ça dépend aussi des envies du pilote. Une mousse de 6mm quand tu la compresses ça devient 3... Moi je vais un peu plus dans le confort je mets un peu plus de mousse pour que la mousse soit uniforme au niveau du liner, de l'intérieure et de la tête du pilote pour que ce soit assez confortable et qu'ils ne ressentent pas la partie dure.
Est-ce que vous peignez tous les casques chez Bell ?
En termes de peinture customisée, nous ici à Bahreïn, on a 9 personnes qui sont dans l'atelier peinture, on a 3 personnes en Belgique. Certains casques sont faits ici, certain sont faits en Belgique et puis il y a des pilotes qui ont leur propre peintre. Ça dépend des pilotes, Hamilton, Russell Zhou, Alonso sont chez nous. Tous les pilotes titulaires qui sont avec nous depuis un certain temps, on a toujours peint leurs casques, en nous le laissant on gère un peu mieux le poids du casque parce que pour nous le poids de la peinture est très important. Il y a des peintres qui s'en moquent parce qu'ils veulent que leurs casques soient beaux, moi je préfère avoir un casque avec 50g de peinture qu'un casque qui a 100g de peinture. Le casque de 100g de peinture ne va pas m'apporter plus de sécurité mais par compte avoir 50g de plus sur la tête d'un pilote, ça change.
Pour un pilote, combien de casques sont produits à l'année ?
MA : On a un contrat entre 12 et 15 casques par an. Sur un Week-end de GP on prépare 4 casques. Le pilote ne met pas forcément tous les casques. Je viens toujours avec 2 casques pour des conditions de pluie. Il a un produit qui évacue l'eau…
Je m'amuse avec les sigles, c’est le seul moyen de communication que j'ai si je n'arrive pas à avoir le pilote. Il voit, ce qui est indiqué sur la visière si la visière est soit médium avec la couleur qui a dessus : "medium purple". Condition nuage avec soleil, si je mets un fond soleil c’est que la visière est plus sombre.
A Bahreïn par exemple j'ai des pilotes qui roulent soit avec des visières "transparentes" mais légèrement miroitées entre 10% et 15% de teinte ou des pilotes qui s'en moquent, avec une visière teintées de 25%. Je n’ai pas de pilote qui roule avec des visières noires c’est toujours entre 25 et 30%. Tu n’es pas grandement éblouie par le soleil sur la piste. Le seul moment où cela peut se produire, c’est à Barcelone et Austin. Barcelone en fin de journée quand tu redescends tu as le soleil qui arrive dans la grande ligne droite. Austin c’est avant le virage de ligne droite, tu as le soleil qui baisse et qui aveugle tout le monde même avec la visière noir : ça aveugle vraiment.
NDLR : Cette année avec les qualifications déplacées le vendredi après-midi, la session s'est terminée trop tôt pour avoir les F1 au coucher de soleil.
Personne n'utilise de visière photochromique en F1 ?
MA : Ça existe mais le problème de la photochromie c'est le temps de réaction. Par exemple à Bahreïn, le GP c’est à 18h il fait déjà nuit. Un GP comme Abu Dhabi à la rigueur ça peut encore le faire parce que tu pars sur le jour et tu finis la nuit mais le temps de réaction est trop long pour pouvoir prendre une visière comme ça.
Les pilotes réutilisent les casques ?
MA : Il y a des pilotes, pour des GP un peu spéciaux comme Miami, Las Vegas, Monaco où certains pilotes veulent des casques spéciaux et là le casque est utilisé une seule fois. S’ils veulent, ils peuvent faire la saison avec un seul casque. Parfois, si un pilote fais un bon résultat, il préfère garder le casque. Moi je leur donne 4 casques par sécurité, si je ne suis pas là, ils peuvent prendre un autre casque. Par exemple pour la course je prépare les deux casques qui sont identiques, avec les aérations placées de manière identiques. En cas de problème au moment d'aller sur la grille, tu as le casque B qui est prêt.
Qu'est ce qui se passe pour le casque en cas d'accident d'un pilote ?
Aujourd’hui en F1, on a la chance de savoir la force G de l'impact et en fonction, on sait ce qu'on doit faire. Si tu vois lors du crash du pilote qu'il n'a rien, tu préfères le prendre quand même et le mettre en atelier pour voir si rien n'est compressé… Lors des gros impacts, ton casque a fait un travail d'absorption du choc.
Même si la tête/casque ne percute rien directement ?
Ça dépend. Par exemple quand Zhou l'année passée il a fait son crash [ndlr : à Silverstone]. Le casque il était à jeter. Il n’a même pas touché le sol mais il a connu un impact et même s’il n’a pas eu une commotion. S’il a commotion c’est que tu as eu un choc. Avec le halo ca a changé beaucoup, ce n’est pas comme avant de ce point de vue.
Qu'est-ce que ça a changé l'accident de Massa ? En 2008, Massa a reçu un boulot d'écrou de roue sur son casque, explosant la visière du casque du brésilien et le faisant perdre connaissance en pleine course.
MA : Pour nous [les fabricants de casque], ca n'a rien changé. C’est à la FIA, alors, de demander de faire une norme un peu différente. Concrètement quand il a eu le crash, Massa était en contrat avec un de nos concurrents. La FIA nous a alors tous demandé de renforcer les casques au niveau de la visière. On utilisait à l'époque un morceau
en carbone. Aujourd’hui cette pièce est intégrée directement dans la coque du casque donc ça change beaucoup. Après, entre le casque de 2008 et celui d'aujourd'hui, ça n'a plus rien à voir. L'épaisseur de la coque a changé, la visière est plus basse de 3 cm. Maintenant, elle mesure 11mm d'épaisseur.
L'impact en cas d'accident comme celui-là, c’est que la FIA fait son travail d'analyse et derrière elle dit que maintenant la sécurité des casques augmente et les fournisseurs doivent s’y plier.
Est-ce que vous échangez régulièrement avec la FIA ?
MA : On a des réunions avec la FIA, tout les manufacturiers ont des réunions 3 fois par an où on discute pour savoir dans quelle direction on va aller, quels vont être les changements.
Dans le cas d'un incendie, et d'une accident comme celui de Romain Grosjean, qu'est-ce qui a évolué ?
MA : Rien du tout, le casque a fait son travail. C’est le casque le plus haut de gamme. Ils n’ont pas fait évoluer la norme. La visière n’a pas fondu, elle a résisté aux feux. La visière est restée intacte, il n'y a que les tear off qui ont fondu parce que c’est en plastique mais sans conséquences sur son visage.
La chance qu'on a, c'est que sur le casque de Romain, on utilise des filtres à charbon, donc ça bloque les odeurs / fumées. On met ça pour la poussières de frein en carbone. C’est pas pour le feu normalement mais ça lui a permis de ne pas avoir le de problème de respiration ou de flammes qui entrent dans le casque. Tout ce qui est en plastique a fondu et étrangement ça a permis de bloquer toutes les entrées d'air [ndlr : et donc à la protéger].
Romain a voulu qu'on le garde ici parce que ça l'a sauvé entre guillemets. Nous quand on voit ça on se dit qu'on a un bon produit.
Comment fonctionne la pompe à eau, ou passe le tuyau ?
MA : Dans certaines équipes, c'est le pilote qui aspire la boisson lui-même. il a un tube qui est intégré dans le casque. Nous, on a un tuyau interne où on met le tube de boisson correctement et c'est intégré dedans. Il le tient dans la bouche pendant la course, soit il le mets sur le côté. Je mets le tube mais quand le pilote va dans la voiture si le mécanicien ne branche pas à la valve à l'alimentation en eau, ça ne marchera pas.
Il y a des câbles et tuyaux qui sont connectés dans le cockpit une fois le Hans mis en place derrière le casque. Ça prend du temps mais pour sortir ça va vite. C'est pour ça aussi qu'on ne veut pas accrocher et fixer les tubes de boissons car au moment où ils sortent, ils ne peuvent pas rester coincés 10 secondes dans le baquet à cause de ça. Ensuite, certaines équipes ont un bouteau sur le volant, connecté à une poche pour boire.
Et comment fonctionne le système de radio ?
MA : Il y a 2 systèmes. D'abord, la radio qui est dans le casque donc c'est un micro installé dans le casque qu'on connecte. Sinon, tu as le micro dans la cagoule avec des équipes comme AlphaTauri, Williams, Ferrari. Pour nous, c'est mieux parce qu'un micro, c'est 70-80g. On est complètement dépendant d'eux, on fourni pas les micros, s'il faut le mettre, on le met.
Pour la caméra parfois installée dans le casque, ce n'est pas moi qui m'en occupe. C'est une autre division. Eux ne vont pas toucher mes casques et moi, je ne touche pas à la caméra. C'est intégré dans le casque, la caméra fait 2,4g cette année.
Est-ce que l'aérodynamique d'un casque est étudiée pour chaque F1 ?
MA : Notre base reste la même après, certaines équipes fabriquent eux même l'aileron arrière qui se colle au casque pour définir l'apport aéro qui veulent sur la voiture. L'aileron fait quand même un truc assez important sur la partie du casque, car c'est la position centrale de la F1. Si certaines équipes fabriquent leur propre aileron de casque, je pense que c'est parce que ça leur apporte quelque chose. Mercedes a développé leur aileron, Ferrari, Red Bull aussi. On leur met à disposition un fichier 3D et ils l'utilisent pour coller l'aileron dessus.
Comment vous faites si un pilote veut changer quelque chose en dernière seconde ?
MA : Au maximum, on peut faire en 4 ou 5 jours... mais la plupart des pilotes qui ont des casques spéciaux pour l'année ont déjà anticipé pour toute la saison. A Bahreïn [ndlr : en début de saison], j'ai déjà le dessin pour certains pilotes pour Miami, Monaco, Silverstone. Tu es obligé. Il faut bien se dire que les casques que tu peins, ça dure entre 3 et 6 jours à faire et ils sont pas les seuls. On a 14 pilotes, donc il faut gérer tous les pilotes et tous les casques. Je dois les envoyer la semaine avant le GP pour qu'ils arrivent quand moi, j'arrive sur le GP. Sur moi en arrivant, je peux prendre 1 ou 2 casques, mais jamais 10 ou 15.
Qui tu as recruté récemment pour venir du côté de chez Bell ?
MA : Mon boulot à moi, c'est de recruter d'abord en karting. Par exemple Noris, je l'ai recruté en karting et il est en F1 avec nous. C'est un plus pour nous.
De Vries, il utilisaient les casques Stilo l'année passée, mais il était tout le temps chez Mercedes donc on parlait souvent ensemble, on avait les mêmes avions, hôtels donc pendant l'année, tu fais ami ami avec tout le monde. Tu lui dis "écoute ça serait bien que tu essayes notre casque". Au Brésil, je suis arrivé avec mon scan et je lui ai fait le scan 3D à l'hôtel et a Abu Dhabi, je suis arrivé avec un casque adapté pour lui faire essayer. On avait quasiment signé parce que c'était bon. Il a aimé le côté proactif qu'on a et le relationnel. Ce n'est pas qu'un casque. Il faut apporter le service et savoir le besoin de nos clients, qu'ils s'agissent d'un pilote de F1 ou de Karting.
Quand j'ai commencé en F1, j'ai commencé avec 3 pilotes et aujourd'hui, on a 14 pilotes plus les pilotes de réserve ce qui fait +/- 20. C'est énorme. Quand Nyck de Vries a roulé avec notre casque il a dit "whaou, c'est la première fois que je ne dois pas penser aux turbulences avec mon casque" donc c'est un bon retour.
Rosberg, l'année où il a changé de casque, il est devenu champion du monde. Il avait un problème à Monaco avec la buée. Un jour, il m'a appelé, il m'a dit "je serais intéressé d'essayer votre casque, mais je ne voudrais l'utiliser que pour la pluie". Je lui dis non, tu l'utilises tout le temps pas que pour la pluie (on a un casque qui est assez renommé pour la pluie, on n'a pas de buée). Au Brésil, sous la pluie, il m'a dit : "C'est la première fois que je roule sans penser que je vais avoir de la buée dans mon casque". Alors qu'a ce GP, tout le monde avait de la buée dans leur casque. J'ai parlé avec Vettel, Verstappen ils avaient tous de la buée. Rosberg nous a fait un message en nous disant "merci, si je suis champion du monde, c'est aussi en partie grâce à vous".
On a un antibuée dans la visière qui est assez puissant, mais il y a une manière de le mettre. C'est ce que nos concurrents essayent de copier, mais ne comprennent pas.
Aujourd'hui, nos concurrents qui sont basés au Japon, c'est très dur pour eux de réagir parce que c'est loin. La force qu'on a, c'est d'avoir aussi le plus de pilotes et donc leurs retours. C'est des petits trucs qui font que tu as le meilleur casque.
On termine par le prix, combien ça coûte un casque de F1 ?
MA : Le casque d'un pilote de F1, c'est 4 800 euros, la peinture varie entre 1000 et 2000 euros.