Entretien exclusif avec Hugues de Chaunac, patron d'Oreca
Motors Inside a pu s'entretenir avec le patron de la structure Oreca, Hugues de Chaunac. L'entrepreneur de 77 ans reste un immense passionné et garde un œil plus qu'attentif sur l'évolution de l'automobile dans les années à venir.


Le châssis de l'Acura, qui se produit aux États-Unis et qui a fait des miracles aux 24 Heures de Daytona, est de votre conception chez Oreca. Pour Alpine, dont les essais viennent de se dérouler, cela représente t-il un espoir d'autant plus important, avant de se mesurer à une concurrence féroce ?
Hugues de Chaunac :« En tous les cas, les premiers tours de roues nous ont beaucoup rassurés. On a vu que la base était très bonne et que l'implantation du moteur était très bonne. Leur unité de puissance a donné satisfaction également. Donc, bien entendu, cela nourrit de grands espoirs pour la saison prochaine, même si on sait qu'il nous reste encore beaucoup de travail à faire sur la voiture. Mais tout se présente bien. »
En 2021, l'ex-patron d'Alpine, Laurent Rossi, avait fait l'annonce de l'engagement de la marque en LMDh et de votre collaboration. Ce mariage Alpine-Oreca était-il une évidence, ou bien y a t-il eu de longues discussions préalables ?
H. D. C. :« Il y a toujours des discussions en amont, même si les liens semblent évidents. Alpine a fait le tour des autres fournisseurs de châssis (Multimatic, Dallara et Ligier). Maintenant, Oreca a atteint un grand niveau d'efficacité et de technicité et les résultats à travers le monde le prouvent aujourd'hui. Alpine s'est très vite décidé à venir chez nous. Et puis tout allait dans ce sens finalement : des ingénieurs d'Oreca et d'Alpine se connaissent très bien. Et, avec ceci, nous avons des liens très étroits avec Signatech, qui est l'équipe exploitante du projet LMP2. Une fois les trois grandes pièces du puzzle réunies, les liens se sont créés. »
Dans le cas des Hypercars, est-ce que la conception d'un châssis diffère selon, par exemple, les motorisations ?
Hugues de Chaunac :« Oui, dans la mesure où l'implantation d'un moteur dans un châssis dépend complètement de s'il s'agit d'un 6 ou 8 cylindres. Il y a des conséquences directes, notamment sur le refroidissement, qui diffèrera, tout comme le système d'échappements. On doit faire toute une série de modifications afin que notre conception puisse bien s'accorder avec les attentes et le savoir-faire du constructeur. »
Oreca est une structure qui a longtemps collaboré avec Peugeot, sur la 908 et vous étiez passés proches de la victoire au Mans en 2011, avec votre propre équipe. On imagine que vos ambitions sont d'écrire une grande page de votre histoire aux 24 Heures, avec des partenaires si importants
.H. D. C. :« Le Mans a toujours été un objectif pour nous. C'est une course grandiose et nous y avons écrit beaucoup de lignes de notre palmarès, que ce soit avec Peugeot, Mazda et même, en support, avec Toyota. Aujourd'hui, nous sommes exclusifs en LMP2, ce qui nous amène plus que logiquement à la victoire. Mais le succès au classement général, c'est tout autre chose. Le faire en partenariat avec un constructeur français comme Alpine, c'est un objectif alléchant. »
Si on fait appel à vos souvenirs, vous qui avez fondé Oreca en 1972 : quel est, à ce jour, votre plus beau souvenir des 24 Heures du Mans ?
H. D. C. :« C'est difficile de répondre à cela, car il y a énormément de grands souvenirs ! Mais l'un des plus grands a été sans doute la victoire obtenue avec Mazda et la 787B en 1991, puisqu'elle était totalement inattendue à l'époque. Je garde aussi un souvenir très grandiose de notre première victoire en GT, avec la Viper, la première avec Toyota en 2017...et aussi en 2015, avec notre premier succès en LMP2. C'était d'ailleurs la première victoire d'une voiture totalement conçue par Oreca. Somme toute, les premières victoires sont les plus belles, surtout au classement général. »
Durant votre histoire avec Oreca, quel est le pilote qui vous a le plus impressionné ?
H. D. C. :« C'est toujours difficile de donner une réponse à cela, puisque nous avons vu passer énormément de beaux pilotes. On pense bien volontiers aux pilotes modernes plutôt qu'aux légendes en ce moment. Mais si je devais en citer un, je pense bien entendu à Jacky Ickx, bien qu'il n'ait jamais piloté pour Oreca. Pour ceux qui nous ont rejoints, je dirais Nicolas Lapierre et Sébastien Buémi, de par tout ce qu'ils ont fait en endurance et aux 24 Heures du Mans. »
Vous qui avez eu la position de conseiller technique chez Mazda ou chez Toyota, auriez-vous l'intention de faire revivre une écurie Oreca, avec par exemple une Toyota privée ?
H. D. C. :« Ce n'est pas un objectif à court ou moyen terme, puisque nous sommes pour l'instant résolus à l'idée de bien travailler avec nos partenaires, notamment avec Alpine : on souhaite avant tout les aider à remporter les 24 Heures du Mans. Mais rien n'est gravé dans le marbre et rien ne dit que nous ne reviendrons pas avec notre équipe en son nom propre un jour. »
Acura étant un de vos clients châssis, la marque envisage t-elle une venue au Mans dans les prochaines années ?
H. D. C. :« Si cela se fait, ce ne sera pas avant 2025 voire 2026 : les décisions doivent venir du siège de Honda au Japon. Ce n'est pas du tout à l'ordre du jour chez eux, c'est ce que j'en sais. »
La Formule 1 ? Aucun regret !
Oreca a également eu une grande place en monoplace, notamment en F3. Mais côté Formule 1, quels ont été les plus grands rêves de votre structure dans la catégorie reine du sport automobile ?
H. D. C. :« Je ne pense pas avoir déjà eu de rêves particuliers sur la Formule 1. J'ai plutôt été témoin d'époques fantastiques dans la discipline. Quand Alain Prost était là, ainsi que Pironi, Tambay, Laffite... il y avait un immense engouement pour les pilotes français. Aujourd'hui, la domination de Red Bull m'interpelle - dans le bon sens bien entendu -, mais je la suis sans jamais avoir été un accro à la discipline. La F3, lorsqu'on y était, nous permettait d'aider de jeunes pilotes à démarrer et accéder à la F1. Depuis, on s'est plutôt tournés vers l'endurance. »
Qu'est-ce qui a motivé ce choix de l'endurance, au détriment de la Formule 1 ?
H. D. C. :« Très tôt, j'ai su que je serais plus à l'aise avec le milieu de l'endurance, plutôt qu'avec celui de la Formule 1. C'est une question d'attirance et je m'y retrouve bien. Preuve en est, puisqu'aujourd'hui, nous sommes un constructeur de voitures d'endurance. Les 24 Heures, de par leur prestige, m'ont toujours attiré bien entendu. »
On peut supposer qu'il n'y a aucun regret de ne pas avoir eu d'écurie Oreca en Formule 1.
H. D. C. :« Non, aucun regret : chez Oreca, on n'a jamais eu de franche attirance pour la Formule 1, où il y a énormément de politique. La politique, même aujourd'hui, passe avant le sport. Ces valeurs là ne nous correspondent pas et c'est pourquoi on a plus volontiers pris le chemin de l'endurance. »
Avant tout cela, comment êtes vous tombé amoureux du sport automobile et comment est né Oreca ?
H. D. C. :« C'est une passion que j'avais assez jeune. J'ai eu la chance de transformer ma passion en métier, après avoir été moi-même pilote. Concernant Oreca, la structure est née quand j'ai voulu créer une écurie de course. Je me suis lancé là dedans et les résultats sont arrivés très vite. C'est comme ça que ça s'est lancé et l'histoire a continué. »
Vous qui êtes impliqué dans le monde de l'automobile depuis de nombreuses années, comment pensez-vous que l'industrie et même la course vont évoluer dans les années à venir, notamment sur le plan des énergies.
H. D. C. :« Le sport automobile a encore de très beaux jours devant lui, c'est une certitude. Mais on ne doit pas pour autant se fermer à la recherche de nouvelles technologies. À vrai dire, je ne suis pas un grand partisan, ni même fan, de l'électrique pour les voitures. Mais je pense que l'hydrogène sera une bonne solution pour les futures motorisations. D'ici les quatre prochaines années, l'accent devrait être mis dessus. Les carburants synthétiques utilisés aujourd'hui sont une première étape. Mais ce n'est qu'une transition à l'heure actuelle. »
Avec toute cette histoire, ce palmarès et cette passion, on imagine Oreca prêt à défier la concurrence en Hypercar, en 2024, dans le championnat WEC...
H. D. C. :« Je pense que cette deuxième année des Hypercar sera celle où chacun fournit ses armes. Je pense que ce seront de superbes bagarres entre de nombreux constructeurs. Et nous, avec Alpine, on a bien l'intention de triompher et de jouer le haut de tableau aussi vite que possible. J'y crois fermement en tous cas. »