Entretien exclusif avec le PDG de Mecachrome, concepteur français des moteurs de F2 et F3 et assembleur des moteurs Alpine en F1

Président exécutif de Mecachrome depuis 2019, Christian Cornille revient pour nous sur l'activité de son entreprise autour du sport automobile. Fournisseur des moteurs pour la F2 et la F3 et l'écurie d'Alpine en WEC, elle assemble et teste également les moteurs d'Alpine en F1. Un acteur majeur de ces championnats.

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Entretien exclusif avec le PDG de Mecachrome, concepteur français des moteurs de F2 et F3 et assembleur des moteurs Alpine en F1

Mecachrome est un acteur majeur du sport automobile, notamment en F1, F2 et F3, mais paradoxalement, nous ne vous connaissons que trop peu. Est-ce une volonté de votre part ? Est-ce que votre liaison avec Renault-Alpine en F1 fait que nous parlons davantage de cette marque que de la vôtre ?

Christian Cornille : « Il y a toujours eu avec Renault une relation de confiance depuis très longtemps, car notre partenariat date de plus de 20 ans. La règle tacite et même explicite que nous avions avec eux, c’est que Mecachrome était un partenaire de Renault, faisant partie de la communauté de la marque. Nous ne communiquions que très peu autour de ce que nous faisions avec elle. Cela est une volonté depuis longtemps de notre association de ne pas communiquer sur le sujet. De manière plus large, Mecachrome ne communiquait pas énormément autour de ses activités. »

Il y a eu un changement de stratégie ces dernières années. Cela vous tient à cœur ?

C. C. : « Depuis cinq ans, j’ai souhaité changer un peu cela doucement. Il n’y avait pas la volonté de faire trop parler de nous, mais de mettre néanmoins un peu plus en valeur cette partie d’activité. Une activité dont nous pouvons être fiers, bien qu’elle représente un niveau de chiffre d’affaires (CA) assez faible par rapport à l’ensemble de notre société. Mais c’est le cas pour beaucoup de sociétés qui ont une activité de sport automobile dans leur groupe. Cette activité ne représente pas une grosse partie de notre CA, mais j’ai considéré qu’il était important, à la fois comme un élément de fierté pour nos collaborateurs, mais aussi comme un élément d’image-employeur, de communiquer autour de nos activités sur le sport automobile. »

Cela passe notamment par votre partenariat avec les championnats de Formule 2 et Formule 3 ?

C. C. : « Oui, nous avons décidé depuis cette année d’être sponsor de la Formule 2 et de la Formule 3. On peut apercevoir sur le paddock de ces compétitions les camions brandés avec « La Formule 2 [ou 3] powered by Mecachrome« . C’est la première fois que nous acceptons de sponsoriser cette activité. Nous avons commencé à partir de cette année à vouloir refaire parler de notre marque dans ce cadre. »

Avez-vous d’autres partenariats de ce genre ?

C. C. : « Nous sommes aussi partenaires de la cérémonie de remise des prix organisée chaque année par la FIA. Il y a deux prix Mecachrome désormais. Il y a donc un vrai partenariat et un vrai positionnement qui s’est opéré. Cela n’a pas changé notre business model avec les promoteurs de la F2/F3, mais nous avons convenu ensemble que c’était bien de retrouver une certaine visibilité. C’est ce que nous nous efforçons de faire. »

L’étendue de votre présence dans le sport automobile comprend donc dans un premier temps la Formule 1 avec votre rôle dans la distribution des moteurs Alpine.

C. C. : « Nous assemblons les moteurs de série. Quand je dis série, je parle des moteurs de course. Nous fabriquons aussi les pièces principales de ces moteurs, c’est-à-dire culasse et carter principal. Pour résumer, nous montons ces moteurs, nous les testons et livrons ceux qui vont sur les courses. Sachant que les moteurs de développement sont pour leur part réalisés à Viry-Châtillon. Ils s’occupent du développement, de l’amélioration, et nous nous occupons de les rendre disponibles pour l’écurie. »

Est-ce Alpine F1 Team qui régit ce processus ?

C. C. : « Il y a cette répartition, car cela permet aux équipes de Viry-Châtillon d’être à proximité du siège Alpine et de corriger des éléments si besoin. Nous travaillons très étroitement avec les équipes d’Alpine. Une partie est d’ailleurs localisée dans nos ateliers. Mais nous sommes plutôt dédiés à la production de moteurs de course qui ont été éprouvés, sur lesquels la définition est claire. Notre rôle est de faire le plus parfaitement possible l’assemblage des moteurs pour être livrés sur les courses. Cela représente le gros du partenariat avec Alpine. Mais il y a aussi un partenariat pour le LMDh [Le Mans Daytona h], car ce moteur est une coopération Mecachrome-Alpine. Nous avons démarré cette collaboration cette saison avec eux. »

Vous montez l’ensemble du moteur avec les unités de puissance, les batteries, les deux moteurs électriques et de récupération d’énergie. Vous leur livrez tout cela d’un coup ?

C. C. : « Tous les systèmes auxiliaires électriques sont montés sur les monoplaces. Cet ensemble est directement intégré côté châssis et c’est cela que l’on fournit à Alpine. Parfois, on leur fournit directement en piste lorsqu’il y a des mises au point compliquées. Nous fournissons un ensemble complet, une unité de puissance complète. »

Vous êtes également acteurs au sein du championnat du monde d’endurance, le WEC.

C. C. : « Nous fabriquons des pièces pour d’autres constructeurs où nous agissons là en tant que simple producteur de pièces. Par exemple, pour Peugeot, nous fabriquons des éléments importants au niveau moteur de la Peugeot engagée en WEC. Nous sommes spécialistes de pièces moteur, non pas de pièces châssis. »

En F2 et F3 vous fournissez l’ensemble des moteurs de la grille avec une part plus importante dans leur développement. Une responsabilité importante.

C. C. : « Pour ces deux compétitions, nous développons nous-mêmes le moteur, il résulte de notre propriété intellectuelle. C’est notre design. Un bureau d’études qui a défini ce moteur s’occupe de cela. Nous exploitons tout le cycle de vie de ce moteur. C’est-à-dire que nous développons les nouvelles versions, nous fabriquons les moteurs, nous les exploitons. Nous sommes en piste avec les équipes du promoteur de ces championnats. Notre rôle est aussi de surveiller l’exploitation, soutenir les différentes équipes. Quand il y a des accidents ou des problèmes techniques, nous fournissons de nouveaux moteurs. C’est notre métier de supporter le promoteur. Les châssis sont produits par Dallara et les moteurs par Mecachrome. Nous livrons la totalité du plateau en plus de la garantie de la livraison de pièces. Nous avons sur les Grand Prix un nombre de moteurs de rechange à produire et à installer en cas de problèmes durant les week-ends de course. C’est notre responsabilité de permettre que la course se déroule. »

Nous remarquons aux abords de la piste que les F2 font un boucan d’enfer, parfois plus que les F1, même si le bruit est différent. Est-ce qu’il y a une explication particulière à cela ?

C. C. : « Oui, elles font beaucoup de bruit. Le design de ce moteur a une particularité. Nous devons au plateau une plage de performance extrêmement serrée pour l’équité du championnat. Celle-ci se situe entre 590 et 576 chevaux. Nous devons respecter cela et la maintenir toute la saison. Son design a été pensé pour offrir cette possibilité. Notre objectif n’est pas d’aller chercher le plus haut de la performance mais de designer un moteur qui nous garantit au moment des essais de se situer dans cette plage de performance extrêmement stricte et de la maintenir tout au long de la saison, qui est longue. Pour tous les GP, on doit garder le même niveau de performance. C’est ce design particulier qui influe sur le bruit. »

En ce qui concerne les retours de flamme, pouvons-nous expliquer leur présence du fait de la conception du moteur ou est-ce pour le spectacle ?

C. C. : « Les retours de flamme sont dus au design. On saurait les enlever mais cela coûterait de l’argent. Nous ne le faisons pas car cela ne dérange pas le promoteur. Voire, comme vous le dites, il ne trouve pas forcément que ce soit une mauvaise idée qu’il y ait un peu de bruit. On saurait le corriger en tout cas s’il y avait de la tolérance concernant cela. Mais dans la mesure où tout le monde est satisfait, nous laissons le design tel qu’il est. »

Comment se passe la distribution de vos moteurs aux différentes équipes ?

C. C. : « Il y a une marge de 14 chevaux sur près de 600 au total, sachant que nous ne savons pas comment sont distribués les différents moteurs aux pilotes. Nous fournissons tous les moteurs nécessaires au promoteur pour la saison en début d’année, aux alentours de fin février. Il procède ensuite à un tirage au sort pour la répartition entre chacune des équipes.

Le promoteur le sait, mais pas nous. Il s’engage à réaliser cette distribution de manière totalement aléatoire et cela n’a jamais été remis en cause. Il y a très peu de discussion autour de ce sujet. Il remet aux écuries le nombre de moteurs nécessaires pour les tests et les Grand Prix. Chacune a donc un moteur clairement identifié. »

Est-ce qu’un pilote dispose du même moteur toute la saison ?

C. C. : « Certains pilotes font toute la saison avec le même moteur. Quand il y a des accidents, des problèmes techniques ou qu’il y a la perception d’un pilote sur les performances d’un moteur qui nécessitent le changement de moteur. Sur les 30 moteurs que nous livrons chaque année, il y a une ou deux vérifications qui sont faites en moyenne. Nous sommes quasiment toujours dans la plage de performance mais si d’aventure, nous n’y étions pas, nous changerions le moteur concerné. Mais cela arrive très rarement. Cela arrive qu’il y ait des doutes de la part de pilotes, mais c’est assez rapide de faire des vérifications au banc. Et celles-ci permettent quasiment toujours de démontrer au pilote que le problème ne se situe pas au niveau du moteur. »

Votre présence est-elle systématique sur les week-ends de course ?

C. C. : « Bien sûr, nos équipes sont présentes pour la F2 et la F3, car ce sont nos moteurs. Nous devons être présents pour les équipes, pour les soutenir lors d’incidents mécaniques, les éclairer lorsqu’ils se posent des questions. Nous surveillons aussi la performance des moteurs car ce sont de jeunes pilotes, les plages d’utilisation ne sont pas toujours respectées. Nous possédons de nombreux capteurs sur nos moteurs pour vérifier qu’ils soient utilisés dans des zones d’utilisation qui sont les bonnes, ce qui est monitoré sur place. Nous vérifions cela dans le cadre de notre partenariat avec le promoteur afin que ce dernier puisse avertir les équipes lorsqu’elles ne respectent pas les plages d’utilisation qui leur ont été spécifiées. Cela induit que si dommage il y a sur le moteur, c’est aux équipes de prendre en charge le prix de la réparation. »

Les règlements évoluent en continu et vous devez aussi vous adapter d’année en année.

C. C. : « Depuis maintenant deux ans, nous développons des carburants synthétiques avec notre partenaire Aramco. Une des difficultés est justement de maintenir cette stabilité avec une combustion qui n’est pas tout à fait la même, ce qui est dû à ces carburants synthétiques. Nous travaillons d’arrache-pied pour avoir ces carburants synthétiques car nous considérons qu’il faut que l’on arrive à développer un sport automobile avec le moins d’énergie fossile possible. Nous serons dans cette configuration à partir de 2025, car tout notre fioul sera renouvelable. Cela implique un gros travail, car c’est une vraie performance d’être aussi juste avec pas mal de mises au point chaque année. »

Sur le développement que vous faites avec Aramco. Ils vous fournissent des échantillons de carburant et vous devez optimiser par rapport à ce que vous avez ?

C. C. : « Il y a un dialogue permanent avec eux. Ils nous offrent plusieurs types de carburant, nous les testons et nous vérifions qu’ils nous délivrent bien la performance attendue par le promoteur et surtout qu’ils garantissent la stabilité dans le temps. »

Votre groupe ne repose pas toute son activité sur le sport automobile. Pouvez-vous nous indiquer le pourcentage qu’elle représente sur votre chiffre d’affaires ?

C. C. : « Le sport automobile, c’est 20 millions d’euros sur 600 millions de chiffre d’affaires pour l’entreprise. C’est une petite part pour notre société, mais dans le sport automobile, vous en avez beaucoup d’autres qui sont plus petites et ne pèsent pas aussi lourd que Mecachrome. Mais cela reste une part relative. Le gros du CA concerne l’aéronautique. À peu près 50 % de notre business est consacré à fabriquer des pièces de fuselage d’avion, c’est-à-dire le châssis, la carlingue. À peu près 25 à 30 % sont dédiés à la fabrication de pièces moteur d’avion, pour les réacteurs notamment. »

Vous êtes également impliqué dans ce que l’on peut qualifier « d’automobile premium ».

C. C. : « Oui, il y a donc le sport automobile mais aussi de l’automobile premium. Nous fabriquons des pièces plutôt de série cette fois pour Porsche, Ferrari ou AMG. Nous sommes par exemple les fabricants de GT3, GT4, GT3 RS ou GT4 RS pour Porsche. Si le sport automobile représente 20 millions d’euros de CA, celui de l’auto premium se situe vers les 40 millions d’euros. Le reste du CA concerne la Défense nationale puisque nous avons quelques activités stratégiques pour celle-ci. »

Quel serait l’impact pour vous si demain Alpine arrêtait son activité concernant la fabrication de moteurs pour la Formule 1 ?

C. C. : « Cela représente à peu près la moitié de notre activité sport automobile. »

Propos recueillis par Romain Mathon.

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