Christine Beckers, un triptyque pour un record du monde
L'ancienne pilote belge va piloter une F1 sur le circuit de Zolder. À 80 ans, elle pourrait rentrer dans le Guinness Book des records. Une opération réalisée pour fêter les 50 ans de sa victoire de catégorie aux 24 Heures du Mans.


La préparation est minutieuse. Retrouver les trois voitures nécessaires. S’acclimater à l’ex-Formule 1 de Thierry Boutsen. Trouver la position idéale dans la monoplace… Tant d’étapes nécessaires pour mener le « triptyque magique » de Christine Beckers à bien.
La Belge s’est lancée dans un défi assez fou. Devenir la plus ancienne femme à piloter une Formule 1. « Je souhaitais rentrer dans le Guinness Book des records. Là, c’est une Anglaise de 79 ans qui le possède », nous a-t-elle indiqué. Alors pour l’effacer des tablettes, la pilote qui a aujourd’hui 80 ans a mis la main sur une machine assez particulière. Une Arrows BMW A8. « C’est celle de Thierry Boutsen. C’est la vraie de vraie. Elle appartient à un autre Belge et il est emballé à l’idée de me la prêter pour ce défi. »
Au Mans, avec sa Chevron de 1974
Cette machine utilisée en 1985 a un petit quelque chose en plus. Elle était sponsorisée par l’entreprise du mari de Christine Beckers, Roger Dubos. « Les autocollants sont toujours dessus. Il y a donc un petit clin d’œil avec mon histoire personnelle », sourit-elle.
Pour se préparer à ce défi, un lourd programme l’attendait. Trois mois de sport intensif. « J’ai déjà conduit une F1, mais il y a un petit moment. Après, j’ai tendance à dire « c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas ». » L’important ne sera pas de battre le record de la piste de Zolder, ce dimanche 21 juillet. Mais de prendre avant tout du plaisir. À quelques jours de l’événement, les officiels du Guinness Book n’ont pas encore montré signe de vie. Mais peu importe. « Avec le monde qu’il va y avoir, il y aura assez de témoins pour se rendre compte que je l’ai fait. »
« Au bout de 200 mètres, la voiture est tombée en panne. L’ACO a fait les choses bien, en la tractant jusqu’au bon emplacement. Mais comme tout pilote, je n’aime pas être tractée »
Piloter cette Formule 1 est le dernier volet de son « triptyque ». Lors des 24 Heures de Spa, elle a arpenté la mythique piste des Ardennes avec l’Alfa Romeo 2000GTV de son frère, James, avec laquelle il a gagné la Coupe du Roi, il y a cinquante ans. « Là aussi, ça a été un gros travail. Il a fallu l’amener jusqu’aux circuit. Le moteur a été remis à neuf… »
Et au Mans, elle a effectué la première partie de son rêve. Du moins en partie. Il y a quelques mois, elle avait pris contact avec Pierre Fillon, le président de l’Automobile Club de l’Ouest, pour lui présenter son projet. « Il a donné son accord à condition que la Chevron que j’aie pilotée ici en 1974 soit amenée. » Il a donc fallu la chercher. Après une petit enquête, elle a été trouvée. Là encore, en Belgique. « Mon frère s’en est chargé. »
Dans l’Histoire du sport en 1974
À l’occasion de l’édition 2024 des 24 Heures du Mans, Christine Beckers devait rouler quelques kilomètres pour une démonstration, avant de s’arrêter dans la ligne droite des stands pour une interview. Mais seul le question-réponse a pu avoir lieu. « Au bout de 200 mètres, la voiture est tombée en panne. L’ACO a fait les choses bien, en la tractant jusqu’au bon emplacement. Mais comme tout pilote, je n’aime pas être tractée », rigole-t-elle, avec le recul.
C’est avec cette fameuse voiture, plutôt taillée pour les courses de côte ou les courts événements sur circuit, que la Belge est rentrée dans l’Histoire. Elle est devenue la première femme à s’imposer dans la Sarthe avec un équipage 100 % féminin. « Ce n’est pas la victoire au général, mais dans ma catégorie. »
Un succès de prestige qu’elle comptait obtenir coûte que coûte. « À l’époque, j’avais dit à mon mari que je voulais monter une équipe composée qu’avec des filles. » Elle s’est alors rapprochée de deux autres pilotes renommées dans les années 70. Marie Laurent et Yvette Fontaine. « J’avais beaucoup d’estime pour Yvette. C’était une pilote belge réputée. Marie, je l’aimais beaucoup. Je lui ai proposé ce défi et pour me faire plaisir, elle a accepté. Au final, on a fait une très belle course. »
« Voir un équipage 100 % féminin, c’est magnifique »
Cinquante ans après ce triomphe, un autre équipage 100 % féminin essaye de reproduire tel exploit. Les Iron Dames, avec Sarah Bovy en chef de file, font figure de favori chaque année dans la Sarthe. Mais les femmes de fer sont souvent touchées par malchance. Ce qui n’empêche pas Christine Beckers de soutenir l’équipage de toutes ses forces.
« Je dois être la plus grande fan de Sarah (rires). Je la connais bien. Elle est d’ailleurs marraine de l’événement de dimanche. J’essaye de regarder ses courses au maximum. Et voir un équipage 100 % féminin à un tel niveau, c’est magnifique. Sarah gère la communication à merveille. Elle joue un rôle essentiel dans la promotion du sport féminin pour montrer que l’on peut conduire aussi vite qu’un homme. »
L’édition 1974 n’est pas la seule aventure sarthoise de la journaliste de formation. La première, l’année précédente, Christine Beckers n’est pas allée bien loin. Le moteur de sa Chevron B21/23 a rendu l’âme après seulement neuf boucles. Lors de son troisième engagement, en 1976, elle a intégré la prestigieuse équipe Inaltera aux côtés de Jean-Pierre Jaussaud et Jean Rondeau. La voiture numéro 2 a terminé assez loin au général, mais a figuré tout de même sur le podium en GTP.
« C’est simple, elle avait deux passions : la mécanique et la pêche à la ligne. Comme Jacques Laffite »
Et puis, il y a eu l’épopée 77. La dernière. Cette fois avec Lella Lombardi. Elle n’était que toutes les deux au volant de l’Inaltera. « Je trouvais déjà assez frustrant de rouler aussi à peu à deux sur 24 heures, donc je ne voulais pas d’une troisième pilote. Lella a compris et a accepté. »
Dans les tribunes, les regards étaient donc tournés sur cette voiture bleue avec quelques touches de rose. L’équipage avait fière allure. Une gagnante des 24 Heures dans sa catégorie et la seule femme à avoir débloqué son compteur de point en F1. « C’était une grande professionnelle. Elle était très axée sur la mécanique. Une véritable passionnée. Une metteuse au point incroyable. C’est simple, elle avait deux passions : la mécanique et la pêche à la ligne. Comme Jacques Laffite. »
Mais cette dernière participation a été marquée par une aventure aussi effrayante qu’invraisemblable. Dans la ligne droite des Hunaudières, la Belge a enchaîné les tête-à-queue. Une succession d’erreurs de pilotage ? Loin de là. Le problème était mécanique. La pilote s’est arrêtée en bord de piste. Et s’est mise à la recherche de l’avarie. « Par hasard, je me suis rendu compte que c’était le coupe-circuit. Je l’ai neutralisé. Aujourd’hui, effectuer des réparations sur le tracé serait impensable ! »
Une quarantaine d’années après ses dernières courses, le palmarès de la Belge revient en pole position. Avec une ligne de plus avec inscrit « Guinness Book des records », son CV récupèrerait une étoile de plus. De quoi l’amener dans la constellation des plus grands de l’Histoire. Mais cette grande dame du sport auto, bien que malheureusement méconnue du grand public, y a déjà sa place.